La souffrance des hommes et des pères demeure encore un sujet tabou dans notre société, autant pour les hommes eux-mêmes que pour leurs conjointes, mères, sœurs ou amies. – Raymond Villeneuve

Le jour où j’ai rencontré Pierre qui m’a raconté son histoire d’un trait durant trois heures, c’était la première fois que j’entendais parler d’enlèvement parental. N’ayant ni conjoint ni enfant, c’était une réalité loin de la mienne, à la fois surprenante et choquante. Bref, peu familière pour la plupart des gens. J’ai vu un père subitement privé de l’accès à son enfant et de sa paternité. Un homme en plein désarroi, vivant une période de profonde détresse.

Fortement impressionnée par cette expérience, j’ai pensé que cette manifestation douloureuse que représente l’enlèvement de son enfant, serait une prémisse documentaire enrichissante pour tenter de comprendre la souffrance des hommes. En tant que femme, nous sommes rarement autorisées à infiltrer l’univers masculin. Voilà que Pierre m’offrait l’occasion d’observer ses émotions de plus près. Je n’allais pas passer à côté.

Je ne m’attendais pas à recevoir un témoignage aussi prégnant de vérité, ni à ce genre de sentiment de la part d’un homme. J’ai été étonnée qu’il se livre avec autant de confiance et de sang-froid, sans censure. Un contraste par rapport à certaines images véhiculées dans les médias. Je me suis alors demandé si d’autres pères réagissaient avec la même attitude suivant un tel choc. Des recherches laborieuses m’ont mené vers Thomas, Ricardo et Tony que j’ai côtoyé durant de nombreuses années.

J’ai été intriguée de découvrir que Thomas sublimait sa souffrance par la créativité. Photographe de métier, il déploie beaucoup d’imagination et de créativité pour maintenir le lien avec son garçon disparu au Mexique en lui inventant des histoires originales les mettant en scène. C’est par cette voie d’expression, à l’intérieur d’un projet photographique conçu par Thomas, que Papa est là est né.

Mon processus de création m’a fait vivre une solidarité peu commune avec mes hommes qui s’y sont abandonnés, laquelle fut transmise aux membres de mon équipe. Pour capter et saisir l’essence intemporelle de leur histoire et de leur être, j’ai été accompagné par Alex Margineanu à la direction photo, Dominique Sicotte au montage, Catherine Van der Donckt à la prise de son et au montage sonore, ainsi que par Benoit Dame, qui a réalisé le mixage du film.

Dans l’intimité du studio de Thomas, les personnages se sont dévoilés plus que je n’ai osé espérer, chacun à leur manière. Leur souffrance s’avère la même, mais leur parcours et leur façon de transiger avec, diffère. Pierre, étrangement pausé, dépourvu de colère et de haine. Comme si cette attitude l’aidait à maintenir le cap et l’énergie nécessaires pour soutenir sa situation et passer à travers.

Ricardo, déchirant et réservé, d’une lucidité implacable envers le système judiciaire. Tony, toujours positif et marqué par une profonde cicatrice nonobstant le rapatriement de sa fille. Thomas, le papa virtuel dévoué, généreux et intense, toujours en quête de réponses à travers ce dialogue artistique.

Jamais, au cœur de cet antre, je ne les ai entendus exprimer une opinion sur le masculinisme par contre. Préoccupés par le bien-être et la sécurité de leurs enfants, ces pères parlent de leur réalité complexe (judiciaire, financière, psychologique) qui se transforme rapidement et bouleverse leur quotidien, les forçant constamment à réévaluer tous les enjeux. Ce qui leur laisse probablement peu de place pour la défense des droits des hommes. Pas maintenant du moins.

Ce documentaire sur la dignité, la tendresse masculine, la résilience et la camaraderie de quatre pères raconte leur traversée ponctuée d’obstacles suite au kidnapping de leurs enfants. Nourris par l’espoir de revoir leurs enfants un jour, ils continuent d’agir et d’avancer même si la douleur est constante.

Ces hommes sont touchants et inspirants. Je suis convaincue que leur témoignage représente pour chacun d’eux un véritable legs, un héritage dont la dimension universelle laissera place à une interprétation propice à la réflexion, la discussion et les échanges sur ce phénomène de société. Tant qu’on n’y est pas confronté, on ne peut en soupçonner la teneur.

Johane Bergeron